a) Histoire des Fleurs du mal
Les changements politiques et sociaux connaissent une accélération
considérable, de manière plus sensible pour les changements mentaux, au
XIXème siècle. L'Ancien Régime bascule dans un nouveau monde, cela est
du à la Révolution qui a été portée par les Lumières.
Dans les
années 1830, un vaste mouvement intellectuel et artistique influence
Baudelaire, lorsqu'il écrit les Fleurs du mal composées au long des
années 1840-1850, le romantisme.
Baudelaire est un poète qui
ressentait un dégoût du monde contemporain, et un « spleen » profond qui
le menèrent à la recherche d'une évasion, en se plongeant dans un
dandysme délibéré en affichant « la supériorité aristocratique de son
esprit » ou bien en se livrant au monde funeste des excitants et des
drogues.
Trois éditions des Fleurs du mal ont eu lieu, pour
cause,le recueil a été revu et augmenté au cours de ces trois éditions
successives, certains poèmes condamnés, puis ré-publiés, des poèmes
renommés, le changement d'emplacement des sections dans le recueil (les
Fleurs du mal sont composées de six sections, Tableaux parisiens, Le
Vin, Les Fleurs du mal, La Révolte, Spleen et Idéal et La Mort).
L'édition
de 1868 est posthume. Baudelaire ne l'a pas revue. La présente édition
est celle de 1861 à laquelle on a joint, à part, les pièces condamnées
en 1857.
Ce livre fait une proposition au lecteur, tel qu'un
parcours de l'esprit enfermé dans l'ennui et dans la souffrance avec une
attirance à un inaccessible idéal. Si les Fleurs du mal ne reflète pas
directement la folie, certains poèmes du recueil nous offre quand même
certaines nuances de folies à travers les personnages (exemples: LXXV
Spleen ou il semble décrire son malaise qui augmente avec le malaise de
sa ville, ou encore Le Goût du Néant , il montre ici qui n'a plus de goût
en rien, que tout lui paraît sans saveur).
Cependant, même si ce
n'est pas le thèmes premier de cet ouvrage, on peut retrouver le mot «
folie » ou son sous-entendu dans plusieurs des poèmes, « Qui versent la
folie à ce bal tournoyant » (VI Les Phares, sixième quatrain, quatrième
vers), « La folie et l'horreur, froide set taciturnes. » (VII La Muse
Malade, premier quatrain, quatrième vers), « Te pavaner au lieu que la
Folie encombre »(XXXVII Le Possédé, second quatrain, troisième vers), «
Dans un délire parallèle »(CVIII Le Vin Des Amants, premier tercet,
troisième vers).
b) Analyse du poème Au Lecteur
Le poème
Au Lecteur, est le premier du recueil de Baudelaire, il fait partit de
la section Les Fleurs du mal, il est le seul placé hors numérotation, il
se charge de présenter et ouvrir le recueil, il a donc une importance
majeure. Composé de 10 quatrains, de vers en alexandrin, les rimes y
sont embrassées et une alternances entre rimes féminines et masculines
est présente.
Dans ce poème, on est interpellé en tant que
lecteur par l'auteur sur la condition humaine, il se décompose en trois
parties, dans les deux premiers quatrains la faiblesse de l'Homme est
représentée notamment par l'association du comportement humain aux
péchés, du troisième au septième quatrains on remarque qu'une influence
est présente, celle de Satan ainsi que la beauté du Mal, en outre, il y a
une tendance à l'immortalité et au Mal. On retrouve dans ce poème, la
tristesse de l'ennui surtout à partir du huitième quatrains jusqu'au
dixième où l'influence du spleen se fait ressentir d'avantage.
Nous
allons donc revenir à notre interrogation de départ, comment la folie
est-elle représentée à travers le(s) personnage(s) dans ce poème ? Nous
allons mettre en avant les actes déraisonnables de l'homme, puis nous
nous intéresserons à la façon dont est mis en avant l'un des thèmes
majeur du recueil, l'ennui.
AU LECTEUR
La sottise, l'erreur, le péché, la lésine,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons nos aimables remords,
Comme les mendiants nourrissent leur vermine.
Nos péchés sont têtus, nos repentirs sont lâches ;
Nous nous faisons payer grassement nos aveux,
Et nous rentrons gaiement dans le chemin bourbeux,
Croyant par de vils pleurs laver toutes nos tâches.
Sur l'oreiller du mal c'est Satan Trismégiste
Qui berce longuement notre esprit enchanté ,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.
C'est le Diable qui tient les fils qui nous remuent !
Aux objets répugnants nous trouvons des appas ;
Caque jour vers l'Enfer nous descendons d'un pas,
Sans horreur, à travers des ténèbres qui puent.
Ainsi qu'un débauché pauvre qui baise et mange
Le sein martyrisé d'une antique catin,
Nous volons au passage un plaisir clandestin
Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.
Serré, fourmillant, comme un million d'helminthes,
Dans nos cerveaux ribote un peuple de Démons,
Et, quand nous respirons la Mort dans nos poumons
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.
Si le viol, le poison, le poignard, l'incendie,
N'ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C'est que notre âme, hélas ! N'est pas assez hardie.
Mais parmi les chacals, les panthères, les lices,
Les singes, les scorpions, les vautours, les serpents,
Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants,
Dans la ménagerie infâme de nos vices,
Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde !
Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde ;
C'est l'Ennui!-l’œil chargé d'un pleur involontaire,
Il rêve d'échafauds en fumant son houka,
Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat,
-Hypocrite lecteur,-mon semblable,-mon frère !
L'échange entre le poète et le lecteur
Dans ce poème ce que Baudelaire met principalement en évidence est
l'Ennui, nous allons plutôt nous pencher tout d'abord, sur le « lecteur
». Le poète s'adresse bien évidement au lecteur dans ce poème, le titre
en lui même nous le confirme.
Une représentation de la folie détournée
La
folie ici, n'est pas représentée de manière très distincte, par contre
le champ lexical peut nous laisser penser qu'elle est présente.
Dès
le commencement du poème nous avons les mots : « sottise » ; « erreur »
; « péché » (premier vers). Reprenons la définition même de la folie,
c'est un dérèglement mental, de la démence, un égarement de l'esprit,
cela peut définir aussi un acte déraisonnable, passionné, excessif,
insensé, un vif penchant pour quelque chose, un manque de jugement, une
absence de raison. En effet, le mot « sottise » correspond à un acte
insensé, « erreur » à un acte déraisonnable tout comme le mot « péché ».
cette première strophe est en lien avec la folie.
Le second
vers, peut être associé au mal-être enfouit dans nos esprit et qui
automatiquement par la suite « travaillent nos corps », on peut ajouter
que les « remords » au troisième vers conduisent souvent à un état
dépressif.
Une attirance obscure
L'auteur
déclare que le Mal attire le lecteur, comme certains malades mentaux qui
présentent une addiction envers quelque chose et qui se sentent
seulement bien en se détruisant la santé (alcool, drogue, etc...), (
comme Baudelaire qui se livra aux stupéfiants et aux drogues également)
: « Aux objets répugnants nous trouvons des appas » (second vers du
quatrième quatrain), le vers qui le suit est tout aussi révélateur,
certains malades savent qu'ils font des erreurs, mais ils continuent car
justement comme veut le faire comprendre Baudelaire, ils trouvent la
beauté dans le Mal : « Chaque jour ver l'Enfer nous descendons d'un pas
», de plus l'idée de se détruire la santé est reprise plus loin dans le
poème, au troisième vers de la sixième strophe : « Et, quand nous
respirons, La Mort dans nos poumons » les poses dans ce vers causées par
les virgules, donne à « La Mort » encor plus d'importance dans le vers.
La folie, ici, est représentée à travers le lecteur, c'est lui le
personnage du poème qui nous permet de faire le lien. D'ailleurs,
l'attirance vers les actes déraisonnables est encore représentée au
troisième vers du cinquième quatrains : « Nous volons au passage un
plaisir clandestin ». On peut également ajouter que l'hémistiche du
quatrième vers de la quatrième strophe : « Sans horreur, à travers les
ténèbres qui puent. » nous montre un comportement insensé, elle nous
fait penser aux personnes atteintes qui ressente cette attirance pour le
mal, les « ténèbres », car c'est « Sans horreur » qu'ils vont « à
travers des ténèbres qui puent », l'hémistiche est là pour montrer
l'opposition entre le fait que l'on y aille « sans horreur » alors que
justement c'est un lieu où le mal règne, le verbes « puer » présente une
connotation très péjorative de ces « ténèbres » et pourtant nous y
allons sans méfiance, la folie par rapport à cette attirance est donc
encore représentée ici. Le second vers du sixième quatrains « Dans nos
cerveaux ribote un peuple de Démons » nous expose une image très forte,
le verbe « riboter » signifie que les « Démons » qui nous habitent se
nourrissent en quelques sorte de notre cerveau, de notre raison.
L'accumulation
au premier vers de la septième strophe du poème : « Si le viol, le
poison, le poignard, l'incendie » connote avec le champ lexical du
crime, cette accumulation nous mène au dernier vers de cette strophe «
C'est que notre âme, hélas ! N'est pas assez hardie. », ce manque d'
hardiesse, peut être causée par un état dépressif, un mal être profond,
un « spleen ».
La représentation de la folie n'est pas le thème
primordial des Fleurs du mal, elle se fait ressentir notamment par la
présence d'un « spleen » profond et donc qui s'associe à notre étude,
une attirance pour le mal est présente dans ce poème.
Une structure révélatrice
Ce poème se décompose en trois parties, du huitième au dixième
quatrains on retrouve la tristesse de l'ennui, ainsi que l'influence du
spleen qui se démarque d'avantage qu'au début du poème.
Des termes sombres
Le thème majeur du poème Au Lecteur, est l'ennui, il est mis en
évidence par une accumulation de mots faisant partie du champ lexical de
la férocité : « chacals » ; « panthères » ; « lices » (premier vers du
huitième quatrains) ; « singes » ; « scorpions » ; « vautours » ; «
serpents »(deuxième vers du huitième quatrains) ici, se trouve une idée
d'animaux charognards avec « les vautours », de danger,
d'empoissonnement et de mort avec en particulier « les scorpions » et «
les serpents », dans ces deux vers les animaux décrient sont agressifs
et dangereux. Le danger est toujours présent dans le vers suivant, ainsi
que la monstruosité, la peur, ces mots exposent des images effrayantes :
« Les monstres glapissants, hurlants, grognants, rampants ». Le
quatrième vers de cette huitième strophe, nous ramène au fait d'être
habité par le Mal : « Dans la ménagerie infâme de nos vices » toute
cette férocité qui est donc représentée dans cette strophe, demeure en
nous.
La neuvième strophe se débute par le pronom personnel « Il
», on se rend vite compte que ce n'est plus du lecteur qu'il s'agit, des
adjectifs péjoratifs décrivent ce « il » qui nous fait nous interroger :
«Il en est plus laid, plus méchant, plus immonde ! ». le reste de cette
neuvième strophe nous décrit une force invisible, sans dimension :
« Quoiqu'il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et
dans un bâillement avalerait le monde » on apprend donc ici, que
cette force pour l'instant inconnue qui n'est certainement pas le
lecteur dont il était question jusqu'à présent, est aussi du côté du
Mal, on le remarque avec le troisième vers de cette strophe et plus
précisément grâce à l'adverbe de manière « volontiers».
Une autre tournure
Une chute entre la neuvième et dixième strophe a lieu, on apprend que
l'auteur parle de l' « Ennui », le point d'exclamation accentue l'idée
de stupéfaction que nous offre la chute entre les deux quatrains.
L'auteur le personnifie dans le deuxième vers de cette dernière strophe :
« Il rêve d'échafauds en fumant son houka, ».
Il le compare
d'abord à un homme fumant la pipe, puis il le compare une seconde fois
en employant une antithèse avec « ce monstre délicat ».
Baudelaire
s'associe au lecteur dans le dernier vers de son poème : « mon
semblable » ; « mon frère ». D'ailleurs le point d'exclamation en fin de
vers donne un sens encor plus violent à ce vers final, aidé également
par l'adjectif « Hypocrite » placé à son début. N'oublions pas que
l'auteur ressentait le dégoût du monde contemporain et qu'il était
habité par un mal-être profond, donc avec ce dernier vers notre idée de
mal-être et de folie représentée à travers le personnage qui est ici le
lecteur, prend tout son sens.
La
folie est représentée ici notamment par l'influence du « spleen » et
celle de Satan ainsi que la beauté du Mal, par l'association du
comportement humain aux péchés, par une peur du temps qui passe
représentée à la fin du poème lorsque l'ennui est mis en avant. C'est
principalement l'attirance pour le Mal présente dans ce poème qui est
représentative de la folie.